samedi 22 décembre 2007

Un "mini-traité" pour une maxi-mascarade démocratique



A propos du TCE


Comme une majorité de français, il y a deux ans j'ai voté contre le projet de constitution européenne. Européen convaincu que je suis, j'étais totalement persuadé de voter pour, jusqu'à ce que je me décide à me plonger dedans et à rechercher des informations contradictoires.

Je ne vais pas rentrer dans le détail du contenu, ce n'est pas le propos de ce billet. Ce qui m'intéresse ici, c'est que cette histoire nous enseigne sur l'état de la démocratie en France.


Commençons d'abord par la campagne médiatique extrêmement biaisée en faveur de l'adoption du TCE en 2005. Si la question de la "pluralité à sens unique" des médias français durant la campagne de 2005 vous intéresse, Acrimed a constitué un dossier qui regroupe un grand nombre d'articles : voir dossier Acrimed TCE 2005.


Avant de voter "NON", j'ai lu, j'ai recherché des explications, j'ai posé des questions, j'ai recherché des points de vue divergents, des analyses contradictoires (c'est sur internet que j'ai trouvé les sources les plus intéressantes) basées sur le contenu et non sur des discours creux, j'ai assisté à des débats, ...
J'ai donc fait un choix qui repose sur une démarche réfléchie pour laquelle j'ai consacré du temps et de l'énergie. Alors évidemment, dans ce contexte, un article comme celui du journal Le Monde du 16 avril 2005 est grossier et injurieux.
Être méprisé et me faire insulter par des médias qui prétendent défendre mes intérêts a fini par devenir une habitude. Voir par exemple un article de Libération du 07 juillet dernier. En juillet 2007, un article comme celui-là m'en touche une sans faire bouger l'autre. En revanche en 2005 j'étais beaucoup plus sensible à ce genre de discours, qui m'ont amenés à me poser de sérieuses questions sur mes propres capacités de jugement.


Malgré les discours de culpabilisation et d'intimidation qui se sont multipliés, la promesse d'un cataclysme à la fois politique et économique en cas de rejet, l'isolement de la France, le blocage de l'Europe ("il n'y a pas de Plan B"), etc... j'ai tout de même voté "NON". Mais non sans me demander si je n'étais pas entrain de faire une éenooooOooOooorme connerie : "Mais qu'est ce que tu fais Fares, tu es devenu LePen-iste anti-européen ? Tu veux être responsable d'avoir conduit dans l'impasse 350 millions d'européens ?" Je le prends avec le sourir aujourd'hui, mais ce processus de marginalisation est réel. A tel point qu'il a faillit me pousser à m'abstenir. Mais comme je l'ai dit, je crois qu'à l'époque j'étais plus facilement influençable par ce genre de discours d'intimidation.




Le rejet du Traité Constitutionnel Européen est un constat d'échec pour tout le monde. En voyant les résultats du référendum en France, suivis par ceux du référendum aux Pays-Bas, j'ai espéré qu'ils forceraient un certain nombre de remises en question. J'ai espéré que le débat sur l'Europe prendrait enfin la place qu'il mérite, étouffé qu'il est par les politicailleries franco-françaises.

D'autant plus qu'entre les citoyens qui ont estimé qu'il fallait voter "NON" en dépit des bonnes choses parce que les mauvaises seraient trop dures à changer (ce qui est mon cas), et ceux qui ont voté "OUI" pour valider les points positifs tout en espérant modifier par la suite les points négatifs (ce qui est le cas de beaucoup de mes amis), les deux positions sont loin d'être aussi inconciliables que ce qu'on a bien voulu nous le laisser entendre.


Malheureusement c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Le diagnostique qu'on nous a servi était clair : "Le TCE a été rejeté parce qu'il n'a pas été suffisamment expliqué, et les Français ne l'ont pas compris". Point final. Circulez, il n'y a plus rien à voir.





A propos du Traité de Lisbonne


Et aujourd'hui ?
L'appellation "mini-traité" ou "traité simplifié" est une escroquerie. Le TCE était un traité. Le traité de Lisbonne est également un traité. Et le contenu est similaire.
Valéry Giscard d'Estaing lui-même, ainsi qu'un grand nombre d'hommes politiques (en particulier des premiers ministres européens) s'accordent sur ce point (voir les citations en bas de cette page).


Comme l'indique un sondage du Financial Times / Harris repris par Marianne, 63% des Français veulent un référendum. Ce chiffre est encore plus important dans les principaux pays européens : 65% en Espagne, 72% en Italie, 75% en Grande Bretagne, et 76% en Allemagne.
Selon l'IFOP, c'est 71% des Français qui veulent un référendum.



Voir l'article de Bernard Cassen qui défend l'idée d'un référendum.

Voir également la vidéo de Nicolas Dupont Aignan (député UMP), qui est l'un des seul à avoir eu le courage d'aborder sérieusement la question, et la réponse du pathétique Bernard Kouchner.

A voir aussi : l'interview de Jean-luc Mélenchon (Sénateur PS) qui revient sur l'amnésie de son propre parti, et qui réclame également un référendum.






Mais Nicolas Sarkozy a clairement affirmé qu'il ne faudrait surtout pas qu'un tel référendum ait lieu, car ce traité serait rejeté en France et ailleurs
(voir article en anglais).





Selon Etienne Chouard, enseignant en droit fiscal économie et gestion, auteur d'un site d'analyse du TCE en 2005, et également à l'origine du Plan C - Pour une constitution Citoyenne, il s'agit d'un "viol politique"


Anne-Marie Le Pourhiet, Professeur de droit constitutionnel, parle d'un "double coup d'Etat" (un article passionnant, à lire absolument !)



Cette situation n'est pas propre à la France. On la retrouve également dans différents pays européens : voir article



Il convient de remarquer qu'on est exactement dans ce que Noam Chomsky décrivait comme "la vision alternative de la démocratie" (voir la vidéo dans un billet précédent). Cette "vision alternative", dans laquelle les peuples doivent être divertis, manipulés, trompés et exclus du débat "pour leur propre bien", évitant ainsi qu'ils ne se mêlent de ce qui les regarde. Cette vision contredit l'idée traditionnelle qu'on se fait de la démocratie : celle d'un système politique dans lequel les peuples ont les moyens d'agir sur ce qui détermine leur vie.


Cette idée est également reprise dans l'article "Assassinat en réunion" (Edito 6 du 04/12/2007), ou encore dans l'article "la démocratie de l'inconséquence".




Alors que faire ?


Un certain nombre de pistes sont proposées ici :
http://www.traitedelisbonne.org/Que-faire.htm

  • Signer les pétitions qui exigent la tenue d'un référendum (voir le lien ci-dessus)
  • Écrire aux médias
  • Écrire aux partis politiques
  • Écrire à votre député
  • Écrire au Président de la République
  • Écrire au Pape, ou même directement au bon Dieu s'il y a une chance pour qu'il vous écoute
  • Et en parler autour de vous.

Cette histoire n'est pas encore totalement finie (voir le calendrier).


vendredi 7 décembre 2007

Aux origines de la "voyoucratie"




Aujourd'hui j'ai reçu un email qui contenait un lien pointant vers une page du site d'Arrêt sur images. J'avais vu passer cette info il y a quelques jours sur le site de Betapolitique. Il s'agit d'une lettre que Rachida Dati avait écrite au journal Jeune Afrique lorsqu'elle avait 17 ans, dans laquelle elle fustigeait une attitude qu'on qualifierait aujourd'hui pudiquement de "décomplexée".

Je cite :

Le résultat est hausse de tension, racisme et même xénophobie envers ces étrangers dont la plupart ne le méritent pas, quelle que soit leur situation. Ces réactions sont fortement ressenties à tous les niveaux et particulièrement dans les endroits publics (écoles, bureaux).

Est-ce la faute de ces étrangers, qui sont venus pendant la prospérité et qui, dorénavant, sont remis en cause quotidiennement ? Alors, je tiens à dire aux Français qui disent aux étrangers : « Si tu n’es pas content, retourne dans ton pays où on crève de faim » qu’ils sont ridicules.

Ils ne s’imaginent pas la crise qui pourrait atteindre "leur" pays avec le départ de "ces bougnoules". Quant au slogan des employeurs, c’est : « Tais-toi ou pars ! »


C'est sidérant de voir à quel reniement elle a du faire face pour accepter d'exercer le rôle qu'elle a aujourd'hui dans ce gouvernement...


Mais comme le disait un vieux briscard (qui en a vu d'autres) en commentant cette lettre : "Bah, on a déjà vu pire comme retournement d'opinion chez les politiques, surtout entre l'adolescence et l'âge adulte ... "


C'est sans doute vrai, mais quand même... En tout cas, son commentaire m'amène au sujet de ce billet. Le "retournement d'opinion".


Les retournements qui m'intéressent le plus sont ceux des médias qui font l'opinion.


Par exemple prenons le formidable concept de "voyoucratie", qui a reçu une publicité considérable ces derniers temps.

C'est bien gentil de confier au patron de la Fnac la responsabilité de superviser un rapport sur le téléchargement d'oeuvres sur internet (voir article), mais encore faut-il donner l'exemple en respectant un minimum la propriété intellectuelle. Le B.A.-BA c'est quand même de citer ses sources !! Il faut rendre à César ce qui appartient à César, que diable !
La "voyoucratie", c'est une idée de "La France Propre" (c). Un concept introduit par Jean-Marie Le Pen lors de son discours du 26 septembre 1999 : lire le discours du FN [1]

Que Nicolas Sarkozy s'approprie la paternité de cette formule sans même citer son mentor, c'est un scandale !!


Un peu plus sérieusement, il est tout à fait clair que nous assistons à un glissement à la fois rhétorique et idéologique que tout le monde feint d'ignorer (ou en tout cas dont on fait semblant de minimiser l'importance), et qui pourtant était tout à fait prévisible : voir l'article que j'avais soumis sur AgoraVox entre les deux tours de la présidentielle. Il y a des fois où l'on préfèrerait s'être planté...

Entre la levée de boucliers médiatique qu'avait provoqué la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002, et la bienveillance des médias à l'égard de Nicolas Sarkozy aujourd'hui, quel prodigieux retournement d'opinion...

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[1] : Vive le feu !


samedi 24 novembre 2007

Travailler plus... Rendez-vous dans 27'000 ans !



Dans un billet précédent, je donnais un extrait du livre La tiers mondialisation de Smaïl Goumeziane :

Le revenu moyen d'un patron est passé de 42 fois le salaire moyen de son ouvrier en 1980 à 419 fois en 1998, soit un écart multiplié par 10.



Un petit tour sur l'Observatoire des inégalités m'a inspiré un nouveau billet.


L'ex-PDG de Renault, Louis Schweitzer, a reçu un salaire annuel de 11,9 millions d'euros. Soit l'équivalent de 987 années de SMIC. Diantre, presque 1 millénaire de SMIC en un an !

Mais le salaire annuel "c'est l'arbre qui cache le forêt", comme dirait George Eddy (grand philosophe contemporain). Les dividendes versés sont encore plus édifiants : Bernard Arnault (LVMH) a reçu 326 millions d'euros en 2007 au titre de l'année 2006, soit l'équivalent de plus 27'000 ans de SMIC net.



"Travailler plus pour gagner plus" ? Quelle bonne blague !!! On en rira encore dans quelques millénaires.

Source : voir l'article sur le site de l'Observatoire des inégalités.



A titre de comparaison, il semblerait que le bénéfice attendu de la dernière réforme
des régimes spéciaux soit de 200 millions d'euros par an (voir article Marianne). Les dividendes versés à Bernard Arnault cette année concentrent donc une fois et demi cette somme dans les mains d'un seul homme. Ca n'a rien à voir, c'est juste pour discuter.



Le Plan B met en libre accès le téléchargement de sa carte des médias en France (qui possède quoi). Il s'agit de la carte de juin 2006, qui n'est donc plus tout à fait à jour. La carte 2007, disponible dans la version papier du numéro 7, n'est pas encore disponible en ligne (je leur ai envoyé un mail d'insultes, mais il n'ont pas répondu. Patience donc !).

Il est intéressant de constater que les principaux bénéficiaires du système sont soit à la tête des médias, soit à la tête des groupes qui sponsorisent très largement ces mêmes médias à travers la publicité.


Comme le dit le Canard Enchainé dans son dossier de 82 pages, "Les nouveaux censeurs" :

page 6 :

Mais l'autocensure comme les autres avatars de la censure ne sont évidemment pas son seul fait. La censure d'aujourd'hui, au-delà de ces petits arrangements entre amis politiques, est avant tout économique. Les médias en général et la presse en particulier vivent de la publicité, qui a pris plus d'importance que leurs ventes dans leurs financements. Les annonceurs, le sachant, ne se privent donc pas de considérer que, puisqu'ils paient cher des pages de publicité, ils attendent en contrepartie de ne pas être maltraités dans les pages d'information.
C'est ainsi que la presse féminine veille à ne pas froisser les grands groupes cosmétiques qui la font vivre. C'est ainsi que la presse régionale est aux petits soins pour la grande dsiribution. C'est ainsi que la presse généraliste, les radios et les télévisions veillent, sous peine de perdre de gros budgets, à ne pas contrarier ceux qui les nourrissent.


page 14 :

""La liberté de la presse commence et s'arrête au tiroir caisse."" Telle était l'une des maximes favorites de Robert Hersant, qui commença sa carrière sous le maréchal Pétain, et un passage par les prisons de la IVème République, pour l'achever sous Jacques Chirac, président, dans la peau d'un député RPR possédant le groupe "Le Figaro" et un bon quart de la presse régionale.
Le pragmatique Robert Hersant ne s'est jamais payé de mots : les grands débats sur l'honneur ou sur la nécessaire honnêteté de la presse, les belles envolées sur la liberté des journalistes, il les abandonnait à ses éditorialistes pour s'occuper de l'essentiel : les finances et la publicité. Car derrière le cynisme de sa formule se cache une vérité, rarement avouée dans la presse française : le degré d'indépendance d'un journal - en clair sa capacité à résister à la censure de ses annonceurs et son pouvoir de s'opposer aux pression des politiques - dépend de sa santé économique. Et de ce point de vue, certes bassement matériel mais essentiel, la situation de la presse hexagonale est catastrophique.



Qui peut raisonnablement espérer compter sur info-Sarkozy, ou sur info-Bolloré, info-Arnault, info-Lagardère, info-Pinault, info-Wendel, etc... pour s'interroger sérieusement sur le bien-fondé de ces salaires pharaoniques ?




dimanche 18 novembre 2007

J'ai retrouvé la 7ème Compagnie


La ligne 1 du métro parisien dessert le quartier de La Défense (l'un des principaux quartiers d'affaires d'Europe). En cette période de grève des transports, c'est l'une des seules lignes à fonctionner à peu près normalement.

Pour faire face à la forte affluence, des agents de la RATP faisaient la circulation dans les couloirs du métro, pour réguler le flot de gnous (dont je faisais partie) et éviter de submerger les quais. Des quais sous haute surveillance, puisqu'une 20aine de CRS étaient postés de chaque coté de la voie. Mais ce qui m'a le plus étonné, c'est la présence de militaires armés de leurs fusils semi-automatiques, aux cotés des agents de la RATP qui régulaient l'accès aux quais.

Je peux donc vous l'annoncer fièrement : vendredi, dans la station de métro Gare de Lyon, j'ai retrouvé la 7ème Compagnie. Qui sait depuis combien de temps ils étaient planqués là...

Puisque je suis entrain de parler de grèves et de militaires, j'en profite pour faire un petit détour par un article du Canard Enchaîné du 10 octobre dernier, qui revient sur "le régime très spécial des retraites militaires" :




Mais revenons plutôt à notre 7ème Compagnie du métro. L'un des soldats en particulier était grand, il était beau, il sentait bon le sable chaud... Je ne sais pas si c'est parce que je suis passé à quelques centimètres du canon de sa mitraillette, mais j'ai trouvé cette situation assez incongrue. Dans la plupart des pays, il est nécessaire de décréter la loi martiale ou l'état d'urgence pour affecter des personnels militaires à des tâches de maintient de l'ordre sur des populations civiles.
En France, nous avons un dispositif de sécurité qui permet en pratique de contourner ce principe : le Plan Vigipirate. D'ailleurs pour ceux qui n'ont pas peur de se perdre dans l'opacité du statut juridique du plan Vigipirate, je vous renvoie vers le blog de Frédéric Rolin, Professeur de droit public à l'Université de Paris X Nanterre.


Il était grand, il était costaud, il avait une tête énorme et un regard de tueur (mon avis est totalement subjectif, j'en conviens), et sa mitraillette aussi sentait bon le sable chaud. D'ailleurs, à quoi aurait-elle bien pu lui servir ? Je me suis posé cette question pendant le reste de mon trajet : mon militaire, comment aurait-il réagit en d'autres temps, d'autres lieux, ou tout simplement en d'autres circonstances, s'il avait reçu l'ordre de se servir de son arme pour tirer dans le tas ? L'aurait-il fait ? Après avoir alterné les "oui", les "non", les "peut-être bien", j'ai finalement conclu par un "et pourquoi pas ?". Après tout il n'aurait rien fait de plus que son boulot, le gars.




mardi 13 novembre 2007

Les géométries variables de « l’équité »



La hausse de salaire de Nicolas Sarkozy avait quelque chose de savoureux dans le sens où les fameux 140% d'augmentation faisaient écho à d'autres, que je mentionnais dans un billet précédent :

En conséquence, aux Etats-Unis, entre 1979 et 1997, le PIB réel a augmenté de 38%, mais le revenu des familles moyennes ne s'est accru que de 8% quand le revenu des 1% de familles les plus fortunées a fait un bond de 140%, soit plus de 3,5 fois plus vite que le PIB !




Mais Le Monde ou Libération nous apprennent que pour le salaire de Sarkozy, il s'agit finalement d'une hausse de 172% et non 140%. C'est décevant parce que du coup ça ne marche plus...



Allez trêve de bla-bla... Maintenant que j'ai fait ma B.A. en citant Le Monde et Libération, passons à des choses un peu plus intéressantes.



En cette période de grève reconductible des transports qui débute, je vous propose un article de Frédéric Lordon, économiste et chercheur au CNRS. Article publié dans l'Humanité le 06 novembre dernier, repris sur ContreInfo le 10 novembre.


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L’ahurissante augmentation du salaire présidentiel a été légitimement rapprochée du dramatique problème de pouvoir d’achat en France. Il est vrai qu’à l’image de l’inénarrable député Lellouche, qui s’indigne que « le président soit payé comme un petit cadre moyen » - 8'000 euros mensuels, les « petits cadres moyens » se sont évidemment reconnus... -, cette affaire a tout pour révéler l’effrayante distorsion des normes induites par la coupure du personnel politique, et donne un équivalent dans son genre de la confusion « du pain et de la brioche » qui faisait jadis les situations prérévolutionnaires. Il n’est pourtant pas certain que la question générale du pouvoir d’achat soit la seule mise en rapport possible, ni même la plus scandaleuse.

Car les principes justificateurs allégués par les auteurs mêmes de cette grande avancée sociale n’ont pas hésité à faire référence à l’« équité », suggérant par là de penser davantage à la réforme des régimes spéciaux, aussi étonnant que ce rapprochement puisse d’abord sembler. À en croire ses partisans les plus inquiets, le président Sarkozy se trouvait en effet dangereusement lésé d’une inégalité de revenu en comparaison de son « collaborateur » François Fillon. Qui pouvait douter que les gouvernements de droite soient plus attachés à la réduction de certaines inégalités que de certaines autres ?

Le point intéressant est cependant ailleurs, et réside plutôt dans la parfaite symétrie, mais évidemment à fronts renversés, des diverses façons de réaliser l’« équité ».

Le salaire de M. Sarkozy est inférieur à celui de MM. Fillon, Bush et Brown, par conséquent il doit être augmenté. L’âge de la retraite des cheminots est plus bas que celui des salariés du privé, par conséquent il doit être retardé. L’identité formelle des deux cas est remarquable : il existe un écart, cet écart est qualifié d’anomalie, il est donc déclaré légitime de la réduire. Les différences réapparaissent quand on considère la pluralité des réductions possibles : car si A diffère de B alors qu’il devrait lui être égal, on peut aligner A sur B, B sur A, ou les deux en un point intermédiaire. Fin de l’arithmétique et début de la politique.

Ainsi l’équité est-elle ce concept aux usages très politiques puisque, merveilleusement polyvalent, il s’offre à justifier tous les ajustements par le haut pour certains, et tous les ajustements par le bas pour les autres.

Il y a donc, au sens le plus stratégique du terme, quelque chose qu’on peut bien appeler une « politique de l’équité », politique de l’ajustement différencié, dont on peut dire qu’elle opère en pratique comme un art du précédent. Car tout est dans la brèche inaugurale, celle qui va créer la différence initiale, mettant en mouvement ensuite le discours automatique de la « réduction ». L’art de « l’équité par le bas » consiste à trouver un point faible. Par exemple, les salariés du privé.

Plus vulnérables, moins syndiqués, ils sont tout désignés pour recevoir en premier le choc des régressions. Une fois le coin enfoncé, il n’y a plus qu’à attendre. Car on peut compter sur le matraquage idéologique par médias interposés pour rendre obsédante l’idée de « l’écart » et, une fois les esprits « attendris » - comme on dit de la viande trop dure -, imposer comme seule solution possible l’égalisation dans la déveine. L’art de « l’équité par le haut » recherche, lui, une référence brillante, un hors norme auquel s’accrocher - pour reconstruire la norme, en plus avantageux.

Par exemple, un président étranger, un premier ministre qu’une législature antérieure a réussi à propulser en douce, ou pour une autre catégorie, très préoccupée elle aussi de cette forme-là « d’égalité », les « patrons américains ». Les patrons américains font peu ou prou le même travail que les patrons français. Mais force est de constater qu’ils sont beaucoup plus riches. L’injustice est manifeste, le rattrapage s’impose...

C’est peut-être parce que le rattrapage ne s’impose que pour ces « injustices »-là, parce que l’« équité » est devenue ce critère à géométrie si honteusement variable qu’il y a un enjeu politique décisif dans les mouvements de résistance à la réforme des régimes spéciaux, condamnés, eux, à la mauvaise équité et à la propagande du ressentiment, celle qui persuade les salariés attaqués en premier que le progrès social n’existera plus pour eux et ne leur laisse plus que l’espoir triste de voir tous les autres « ajustés » à leur tour.

De toutes les escroqueries intellectuelles du libéralisme économique, la plus accomplie est probablement celle qui aura consisté en la captation réussie du thème de l’égalité pour en faire le motif de l’arasement général des conquêtes qui, à défaut de faire la vie « bonne » aux salariés, la leur faisaient moins mauvaise. Et l’on peut compter sur cette lecture libérale particulièrement vicieuse de l’égalité pour démanteler le CDI sous prétexte qu’il en est de plus en plus qui sont au CDD, pour supprimer complètement le repos dominical puisque certains travaillent déjà le dimanche, ou, pourquoi pas, pour déplafonner sans restriction le temps de travail au motif que l’on compte déjà beaucoup de surmenés.

À l’image du discours d’inversion qui fait passer l’opposition à la régression pour du conservatisme, et les « pas encore ajustés » pour des « nantis », la réforme des retraites ne cesse de revendiquer la « justice » et n’est pas loin de se donner pour « sociale »... Il est peut-être temps de remettre à l’endroit ce parfait sens dessus dessous. C’est pourquoi la lutte contre la réforme des régimes spéciaux offre une occasion de ne surtout pas manquer de récupérer « l’égalité » et d’en réaffirmer le sens originel, qui n’a jamais été celui de la convergence pour le pire.

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dimanche 11 novembre 2007

Keith Olbermann à propos du Military Commissions Act : "Le début de la fin des Etats-Unis"

Il y a un peu plus d'un an, le 17 octobre 2006, Geroge W. Bush a ratifié le Military Commissions Act.
Keith Olbermann présente l'émission Countdown sur MSNBC. Le 18 octobre 2006, il fait un "commentaire spécial" sur cet ensemble de lois qui sont entrées en vigueur la veille, qu'il qualifie de "Begining of the end of America" ("début de la fin des Etats-Unis").

Voir : La transcription en VO









Transcription FR :


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Nous avons vécu comme si nous étions en transe. Nous avons vécu comme des gens effrayés. Et désormais, alors que nos droits et nos libertés sont en péril, nous prenons lentement conscience que nous avons eu peur de la mauvaise chose.

Par conséquent, aujourd'hui, nous sommes réellement les héritiers de notre tradition américaine. Car, en cette première journée d'entrée en vigueur du "Military Commissions Acts", nous sommes confrontés à ce à quoi nos prédécesseurs ont du faire face à d'autres moments de crises et de peur mélodramatique.

Un gouvernement plus dangereux pour notre liberté que l'ennemi contre lequel il prétend nous protéger.

Nous avons déjà connu cela par le passé. Nous l'avons déjà connu, menés par des hommes plus sages, plus nobles et meilleurs que George W. Bush.

Nous avons déjà connu cela lorsque le Président John Adams a affirmé que les lois "Alien and Sedition Acts" étaient nécessaires pour sauver des vies américaines. Pour finalement le voir utiliser ces lois pour emprisonner des rédacteurs de journaux.


Des rédacteurs américains, dans des prisons américaines, pour des articles qu'ils ont écrits au sujet des Etats-Unis.


Nous avons déjà connu cela lorsque le Président Woodrow Wilson a affirmé que les lois "Espionage Act" étaient nécessaires pour sauver des vies américaines. Pour finalement le voir utiliser ces lois pour poursuivre 2'000 Américains, en particuliers ceux qu'il décrit comme des "Hyphenated Americans", dont la plupart étaient seulement coupables de préconiser la paix en temps de guerre.


Des orateurs américains, dans des prisons américaines, pour des choses qu'ils ont dites au sujet des Etats-Unis.


Nous avons déjà connu cela lorsque le Président Franklin D. Roosevelt a affirmé que le décret 9066 était nécessaire pour sauver des vies américaines. Pour finalement le voir emprisonner et paupériser 110'000 Américains, tandis que son homme de main, le General Dewitt déclarait devant le Congrès : "Le fait qu'ils soient citoyens Américains ne fait aucune différence, ils sont toujours Japonais".


Des citoyens américains, dans des camps américains, non pas pour leurs écrits, ni pour leurs propos, ni pour leurs actions, mais seulement parce qu'eux ou leurs ancêtres avaient fait le choix de venir aux Etats-Unis.


Chacune de ces actions ont été entreprises pour les plus vitales, les plus urgentes, les plus incontournables des raisons. Et chacune est une trahison de ce pour quoi le Président prétendait les utiliser.

Adams et son parti ont été balayés et le "Alien and Sedition Acts" a été révoqué. Beaucoup de gens que Wilson a fait taire lui ont survécu, et l'un d'eux a même tenté de lui succéder et a obtenu 900'000 voix alors que sa campagne électorale avait été menée entièrement depuis sa cellule de détention. L'internement des Japonais imposé par Roosevelt n'est pas le pire acte de son bilan, mais 40 ans plus tard il a nécessité des excuses formelles de la part du gouvernement des Etats-Unis envers les citoyens des Etats-Unis dont les vies ont été ruinées.


Les plus vitales, les plus urgentes, les plus inévitables des raisons.


Dans les moments de peur, nous ne sommes que des hommes. Nous nous sommes laissés dépasser par la "peur de la peur" de Roosevelt. Nous avons écouté la petite voix intérieure qui nous disait : "le loup est à la porte, ce sera temporaire, ça passera".
Nous avons accepté l'idée que le seul moyen d'arrêter les terroristes est de laisser le gouvernement se comporter un peu comme les terroristes.
De la même manière que nous avions accepté que le seul moyen d'arrêter les Soviétiques était de laisser le gouvernement se comporter un peu comme les Soviétiques.
Ou comme les Japonais.
Ou les Allemands.
Ou les Socialistes.
Ou les Anarchistes.
Ou les Immigrants.
Ou les Britanniques.
Ou les étrangers.


Les plus vitales, les plus urgentes, les plus inévitables des raisons.
Et à chaque fois, à chaque fois, à tort.


Avec la distance historique, les questions se résumeront à cela : "Est ce que cette génération d'Américains prend la menace au sérieux, et faisons-nous ce qui est nécessaire pour en venir à bout ?".

De sages paroles. Et des propos plus ironiques : les vôtres bien sûr Mr Bush.
Hier, en signant le "Military Commissions Act", vous en avez dit bien plus que vous ne le pensez, Mr le Président.
Malheureusement, bien sûr, la distance historique nous fera prendre conscience que la menace que cette génération d'Américains devait prendre au sérieux, c'était vous.

Nous avons une longue et douloureuse histoire du fait de l'oubli de la prophétie attribuée à Benjamin Franklin : "ceux qui sont prêts à renoncer à un peu de liberté en échange d'un peu de sécurité ne méritent ni l'une ni l'autre".
Mais même dans cette histoire douloureuse, nous n'étions jamais allés aussi loin dans l'empoisonnement du Habeas Corpus, ce principe de protection essentiel dont toutes nos libertés découlent.

Vous, Monsieur, avez souillé ce principe.
Vous, Monsieur, nous avez donné le chaos et l'avez appelé l'ordre.
Vous, Monsieur, nous avez imposé la domination et l'avez appelé la liberté.

Pour les plus vitales, les plus urgentes, et les plus inévitables des raisons.
Et là encore, Mr Bush, chacune d'entre elles à tort.

Nous avons remis un chèque en blanc contre notre propre liberté à un homme qui a affirmé qu'il est inacceptable de comparer quoi que ce soit que ce pays n'ait jamais fait avec ce que les terroristes ont fait.
Nous avons remis un chèque en blanc contre notre propre liberté à un homme qui a de nouveau affirmé que "les Etats-Unis ne pratiquent pas la torture. C'est contraire à nos valeurs", tandis que les images de la prison d'Abu Ghraib et les affaires de Waterboarding étaient rendues publiques.
Nous avons remis un chèque en blanc contre notre propre liberté à un homme qui peut désormais, s'il le souhaite, déclarer non seulement des étranger comme "combattant ennemis illégaux" pour les expédier quelque part, n'importe où ; mais peut désormais, s'il le souhaite, vous déclarer vous comme "combattant ennemi illégal", et vous expédier quelque part, n'importe où.

Et si vous pensez qu'il s'agit juste inquiétude déplacée, demandez aux rédacteurs de journaux sous John Adams, ou aux pacifistes sous Woodrow Wilson, ou aux résidents d'origine japonaise sous Franklin Roosevelt.

Et si vous croyez que le Habeas Corpus n'a pas été supprimé pour les américains mais seulement pour tous les autres, posez-vous cette question : si vous êtes embarqués demain et qu'on vous accuse d'être un étranger ou un immigré sans papiers ou un "combattant ennemi illégal", comment allez-vous les convaincre de vous offrir une audience au tribunal pour leur prouver qu'ils se trompent ? Est ce que vous pensez que le procureur général va vous aider ?


Ce Président a désormais son chèque en blanc.

Il a menti pour l'obtenir.

Il a menti en le recevant.

Y a-t-il une raison de croire qu'il n'a pas menti sur la manière dont il a l'intention de l'utiliser, et sur ceux sur qui il prévoit de l'utiliser ?


"Ces commissions militaires fourniront un procès équitable", nous avez-vous dit hier Mr Bush, "dans lesquels les accusés sont présumés innocents, et ont accès à un avocat et pourront avoir connaissance des preuves qui les accusent".


"Présumés innocents", Mr Bush ?

Le bout de papier que vous avez signé hier indique les détenus peuvent être maltraités jusqu'à la limite de ce qui pourrait leur causer un "grave traumatisme mental et physique", dans le but de leur faire avouer leurs crimes, et ils ne peuvent même plus invoquer les Conventions de Genève pour leur défense.


"Avoir Accès à un avocat", Mr Bush ?

Le Lieutenant Commandant Charles Swift a dit dans cette émission et à la Cour suprême, qu'on lui a autorisé l'accès à son client détenu qu'à la condition que ce dernier plaide coupable.


"Avoir connaissance de toutes les preuves", Mr Bush ?

Le Military Commissions Act permet expressément l'introduction de preuves classifiées qui ne sont pas portées à la connaissance de la défense.


Vos propos sont des mensonges, Monsieur !

Ce sont des mensonges qui nous mettent tous en danger.


"L'un des terroristes qui auraient planifié les attentats du 11 septembre", nous avez-vous dit hier, "a déclaré qu'il espérait que ces attentats seraient le début de la fin de l'Amérique".

Ce terroriste, Monsieur, n'aurait pas pu espérer mieux. Ni ses actes, ni ceux d'une file interminable de terroristes réels ou imaginaires n'auraient pu rivaliser ce que vous avez fait.

Le Habeas Corpus ? Envolé.

Les Conventions de Genève ? Facultatives.

La force morale qui rayonnait vers l'extérieur du monde comme un phare, et à l'intérieur comme une protection éternelle ? Etouffée.


Ce que vous avez fait, Mr Bush, constitue "le début de la fin de l'Amérique".


Et avez-vous songé une seule fois, Monsieur, au cours de votre discours d'hier et des huit invocations que vous y avez fait des attentats du 11 septembre, qu'avec juste un tout petit peu plus de désaveu de ce pourquoi nos patriotes sont morts, avez vous songé un instant que dans seulement 27 mois et deux jours à partir de maintenant, lorsque vous quitterez votre poste, un quelconque futur Président irresponsable et un "tribunal compétent" composé de ses laquais seraient en droit, du fait de vos actions, de déclarer "combattant ennemi illégal" et de convoquer une Commission militaire pour juger non pas John Walker Lindh, mais George Walker Bush ?

Pour les plus vitales, les plus urgentes, et les plus inévitables des raisons.

Et là encore, sans aucun doute Monsieur, comme toujours, à tort.

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Autres liens à propos du Military Commissions Act :



samedi 3 novembre 2007

Grenelle du souk : j'ai décidé de suspendre la culture des OGM... et du reste aussi !



En vertu du respect du "principe de précaution", Nicolas Sarkozy a décidé de suspendre la culture commerciale des OGM pesticides en attendant les conclusions d'une nouvelle instance qui devra être créée avant la fin de l'année. Annonce qu'il a effectuée "sous vos applaudissements" (comme l'aurait dit Jacques Martin).


C'est bien.


Mais je peux faire mieux.



Et je vais faire mieux, pas plus tard que tout de suite. Je vous l'annonce solennellement chers lecteurs, j'ai décidé de suspendre la culture commerciale du soja, du coton, du colza et du maïs, qu'ils soient OGM ou non, et ce en attendant les conclusions d'une nouvelle instance qui devra être créée avant la fin de l'année.

On ne plantera plus rien tant que la nouvelle instance d'experts n'aura pas rendu ses conclusions. Et je serai totalement inflexible sur cette question.




Comment puis-je faire une telle annonce ? Ce n'est pas très compliqué :

Les 4 plantes OGM principales sont le soja, le coton, le colza et le maïs (source).

  • Pour le coton, c'est le plus simple, en France nous n'en avons pas (source).
  • Pour le colza, la période de semis vient juste de s'achever : 20 août au 10-15 octobre (source).
  • Pour le soja, la période optimale de semis est autour de mi-mai (source).
  • Et en ce qui concerne le maïs, la période de semis se situe entre fin avril et la première quinzaine de mai (source).

Donc je vous l'annonce, je suspends tout jusqu'aux conclusions du groupe de travail qui sera créé prochainement et qui, n'en doutons pas, rendra son rapport avant le mois d'avril.





jeudi 1 novembre 2007

5 rue Godefroy Cavaignac : j'ai honte

La situation que je vais décrire se déroule en ce moment, en plein Paris, à peine à 1.5 km de chez moi.


Le 18 octobre 2007, une poussette prend bizarrement feu dans la cage d'escalier du bâtiment A de l'immeuble situé au 5 rue Godefroy Cavaignac. Dès lors, 20 familles se retrouvent sans logement. Ces 60 personnes ont des papiers, travaillent pour la plupart et les enfants sont scolarisés dans le quartier.

A cause de l'incendie, l'immeuble est évacué, mais on leur dit qu'ils pourront réintégrer leur logement le lendemain.

Mais la préfecture déclare l'immeuble insalubre et des scellés sont posés. La société propriétaire fait installer des portes blindées et place cinq maîtres chiens à l'entrée de l'immeuble. Personne ne peut plus regagner son appartement, ni avoir accès à ses affaires personnelles.

Depuis, certaines femmes et enfants ont été relogés à l'hôtel, mais d'autres ont refusé et campent devant l'immeuble. Car l'hôtel n'est pas une solution : au-delà des huit premiers jours pris en charge par la mairie, l’hôtel devient un luxe. Il n’est quasiment pas possible pour les sinistrés de prendre en charge ce budget estimé entre 1300 et 1600€ par mois. La plupart des locataires gagnent environ 1200€ par mois. D’autant plus que l’expérience démontre que les personnes logées à cette enseigne censée être provisoire peuvent parfois rester plusieurs années dans ces conditions.





Comme ça se situe à deux pas de chez moi, j'ai pris quelques minutes pour aller voir. Et j'ai vu. J'ai vu les agents avec leurs gros blousons "Sécurité" qui bloquent l'entrée de l'immeuble. J'ai vu ces tentes alignées sur le trottoir. Je suis allé discuter avec les femmes qu'on voit dans cette vidéo, pour prendre des nouvelles et leur dire quelques mots, quelques banalités de soutient. J'ai été surpris par leur détermination à vouloir garder l'espoir. Et par leurs sourirs. Remplis d'amerturme certes, mais des sourirs quand même.

J'espère que cette histoire fera suffisamment de bruit et soulèvera suffisamment d'indignation pour obtenir un règlement rapide de cette situation honteuse.



Liens :

mardi 30 octobre 2007

"Debout pour le journalisme" : Une loi pour garantir l'indépendance des rédactions





Lundi 5 novembre, c'est la journée "Debout pour le journalisme"  (STAND UP FOR JOURNALISM!) :  journée de protestation au sein des médias européens.



Voir : http://www.ifj-europe.org/default.asp?Index=5031&Language=FR


Des dizaines de milliers de journalistes préparent une journée de protestation dans les capitales européennes pour mettre l’accent sur la terrible crise des médias : pressions politiques, déclin qualitatif et mauvaises conditions de travail sont des phénomènes présents partout en Europe.

[...]

“Les journalistes sont frustrés et en colère car ils ne peuvent pas faire leur travail correctement en raison d’ingérences politiques, de conditions de travail précaires et d’une commercialisation rampante qui mettent en pièces le cœur même du journalisme de qualité,”

[...]

Les syndicats et les associations de journalistes dans près de 40 pays européens prendront part à cette journée de protestation qui inclura des manifestations nationales et des actions à l’échelon européen portant sur l’effondrement de la confiance du public dans le travail des médias traditionnels.




Voir : http://www.acrimed.org/article2744.html


Après avoir présenté, le 4 octobre dernier, ses propositions pour renforcer l’indépendance de la presse française, l’intersyndicale des journalistes (SNJ, USJ-CFDT, SNJ-CGT, SJ-CFTC, SJ-FO) appelle la profession et les citoyens à se mobiliser pour la journée européenne de la liberté de la presse, « Debout pour le journalisme », le lundi 5 novembre. Organisée dans une trentaine de pays par la Fédération européenne des journalistes (FEJ), cette journée, en droite ligne avec le mouvement des syndicats de journalistes français, a pour objectif de faire prendre conscience aux citoyens européens que le journalisme et l’information sont en danger.

[...]

De fait, partout sur le vieux continent, les atteintes à la liberté de la presse, et donc au droit qu’ont les citoyens de bénéficier d’une information indépendante et pluraliste, se multiplient : pressions économiques et politiques, marchandisation de l’information, autocensure, précarité, non-respect du principe de protection des sources, etc.
Et la qualité de l’information en pâtit.

[...]

En France comme ailleurs, selon la FEJ, « nous voyons se rejoindre les démons de l’ingérence politique, de l’autocensure, de la concentration des médias et de la précarité dans la profession pour aboutir à un journalisme véritablement malade ».

[...]

Les syndicats et les associations de journalistes dans près de 40 pays européens prendront part à cette journée de protestation qui inclura des manifestations nationales et des actions à l’échelon européen portant sur l’effondrement de la confiance du public dans le travail des médias traditionnels.





Et surtout, voir : http://www.intersj.info/

Il n'y a pas de démocratie sans liberté de la presse

Les syndicats de journalistes, réunis pour la première fois depuis quinze ans, s'adressent à tous les français pour proposer une loi garantissant  l'indépendance des rédactions, à l'heure où les dérives déontologiques, les rachats de médias et les pressions sur le contenu de l'information se multiplient, remettant en cause le droit de chacun à une information honnête, indépendante et fiable.


Les syndicats avancent les propositions de modification législatives suivantes :

* CHAQUE TITRE (écrit, audiovisuel,multimédia) devra disposer d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome composée de journalistes professionnels au sens de l’article L 761-2 du Code du travail, collaborant régulièrement au titre, qu'ils soient mensualisés ou rémunérés à la pige. L'intégration/mensualisation devra être proposée aux journalistes pigistes qui en expriment le souhait. Le recours à des journalistes en CDD ne sera autorisé que dans les cas prévus par la législation en vigueur.

* LA LOI FERA OBLIGATION à l’éditeur de remettre chaque année aux institutions représentatives du personnel, en même temps que ses comptes annuels, la composition de cette équipe rédactionnelle en y faisant apparaître le nombre de journalistes précaires et de correspondants locaux de presse. En cas de non-respect de tout ou partie de ces dispositions, les diverses aides publiques dont bénéficie l’entreprise de presse fautive seront suspendues.

* QUELLE QUE SOIT la forme juridique du titre, quelle que soit la forme juridique de l’équipe rédactionnelle, cette dernière sera obligatoirement consultée par la direction sur tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle.

* CETTE ÉQUIPE RÉDACTIONNELLE sera également obligatoirement consultée par l’employeur avant et lors de la nomination du responsable de la rédaction, quel que soit l’intitulé de sa fonction (directeur de l’information, directeur de la rédaction, rédacteur en chef…). Celui-ci devra présenter son projet éditorial à l’équipe rédactionnelle, qui pourra s’opposer à sa nomination ou à son projet.

* PAR LA SUITE, si la gravité de la situation l’exige, l’équipe rédactionnelle pourra prendre l’initiative d’un scrutin de défiance. La rédaction aura la faculté de saisir le comité d’entreprise. Celui-ci pourra agir dans le cadre d’un droit d’alerte aménagé et spécifique. Là encore, en cas de non-respect de tout ou partie de ces dispositions, les diverses aides publiques dont bénéficie l’entreprise de presse fautive seront suspendues jusqu’à ce que cesse ce manquement. Cette sanction sera publiée et diffusée par l’entreprise de presse.
En outre, sans prétendre apporter aujourd’hui de réponse au débat relatif au statut des entreprises de presse, nous rappelons qu’à tout le moins ces entreprises ont, du fait de leur activité, une responsabilité sociale particulière.

Il découle de celle-ci que ces entreprises doivent être soumises à des obligations accrues de transparence :

* ELLES DEVRONT PUBLIER et diffuser chaque année toutes les informations relatives à la composition de leur capital et de leurs organes dirigeants, l’identité et la part d’actions de chacun des actionnaires, personnes physiques ou morales. Elles devront porter ces informations à la connaissance du public.

* CETTE OBLIGATION DE PUBLICATION et de diffusion devra également s’appliquer dès qu’un changement est intervenu dans le statut, l’organigramme ou la composition du capital de la société éditrice et/ou propriétaire.

* LES NOMS DES PRINCIPAUX DIRIGEANTS et des principaux actionnaires (plus de 15 % du capital) devront également être mentionnés dans chaque numéro de la publication concernée.




Je soutiens sans réserve cette proposition de loi, et je vous invite chaudement à faire tourner l'information et à signer la pétition qui sera remise aux députés lundi 5 novembre avec la proposition de loi ci-dessus.





lundi 29 octobre 2007

Pic Pétrolier : "il y aura encore du pétrole dans 40 ans", mais le problème n'est pas là...



Il y a quelques semaines, Arte a consacré une soirée spéciale au réchauffement climatique, à la fin du pétrole et aux énergies alternatives. Il y a eu des choses intéressantes, j'y reviendrai dans un billet ultérieur. Ce qui m'intéresse ici, c'est plutôt ce qui n'a pas été dit. Arte a réussi le tour de force de passer un documentaire sur la fin du pétrole sans parler du Pic de Hubbert (Pic pétrolier, ou Peak Oil). C'est une sacrée performance !!

Le seul passage où le mot "pic" est prononcé est le suivant :

Le mot est mentionné une seule fois, sans aucune explication. On passe immédiatement à autre chose et on n'y reviendra plus par la suite.

Le reportage se termine par quelque chose comme : un beau jour, la dernière goutte de pétrole sortira du dernier pipeline, et là de sérieux problèmes se poseront. Cette manière de présenter les choses, couplée à l'idée selon laquelle "les réserves sont estimées à un niveau qui correspond à 40 ans production au rythme actuel", incite à tenir un raisonnement trompeur : il reste quelques décennies de production au rythme actuel, puis la production chutera brutalement.

Or ce raisonnement est faux. Oui, il restera du pétrole dans 40 ans. Il en restera même sans doute encore dans 100 ou dans 150 ans. La bonne question n'est pas "pour combien de temps reste-t-il du pétrole ?", ni "quand la dernière goutte sera-t-elle extraite ?". La bonne question c'est : "quelle est, et quelle sera l'évolution de la capacité de production mondiale de pétrole ?".










J'ai entendu parler de la notion de Pic de Hubbert, ou Pic Pétrolier pour la première fois dans le livre Pétrole Appocalypse (2005) d'Yves Cochet. Yves Cochet est docteur en mathématiques, homme politique français membre des Verts, député du Val d'Oise de 1997 à 2002, ministre de l'écologie du gouvernement Jospin en 2001-2002. Il est député de la 11ème circonscription de Paris depuis 2002.


L'extraction de pétrole ne stoppe pas brutalement du jour au lendemain. Comme l'a montré Marion King Hubbert en étudiant la production de pétrole brut aux Etats-Unis, la production suit une courbe en cloche : elle passe par un maximum puis décline inexorablement de manière irréversible. Ce dont il est question, ce n'est pas la fin du pétrole !! C'est la fin du pétrole bon marché.



La question est : quand le pic de production mondiale aura-t-il lieu ?
La quantité de découvertes de nouveaux gisements facilement exploitables est négligeable : il n'y a pas de miracle à attendre de ce coté là. La production stagne depuis 2 ans et parvient difficilement à suivre une demande qui continue de croître.

Pour l'Agence Internationale de l'Energie (IEA pour International Energy Agency), le pic aura lieu d'ici 5 ans.

La conférence de l'ASPO qui s'est tenue à Cork au début du mois, estime qu'il aura lieu d'ici 2010. Voir article : Le compte à rebours a commencé.

Plus alarmant encore, il y a tout juste une semaine, l'Energy Watch Group (un organisme allemand composé de scientifiques et de parlementaires, fondé par le député Hans-Josef Fell) a publié un rapport dans lequel ils estiment l'année du pic de production à ... 2006 ! (Voir article). S'ils disent vrai, nous sommes entrés dans la phase de déclin de la production mondiale, tandis que la demande continue de croître. L'envolée des prix du pétrole est inévitable, et elle n'en est qu'à ses débuts. (voir billet)







Nous sommes la civilisation du pétrole. Un simple coup d'oeil autour de vous devrait suffire à vous en convaincre : du clavier sur lequel je tape à la souris que vous avez entre les doigts, à peu près tout ce qui nous entoure est à base de pétrole. Voir : une liste des domaines d'application des produits dérivés du pétrole. Le secteur des transports est particulièrement critique, puisque tous les pans de l'économie en dépendent. Et que dire de l'agriculture ?


Selon Robert Hirsch (auteur du rapport sur le pic pétrolier pour le ministère de l'énergie des Etats-Unis en 2005), nous allons entrer en phase de récession économique : la "croissance" est condamnée.



Contrairement aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 qui étaient avant tout politiques, celui qui s'annonce est d'ordre géologique. Il est donc durable et irréversible.

Le contrecoup économique et social risque d'être d'autant plus fort qu'on a fait semblant, et qu'on continue à faire semblant de ne pas le voir venir, en prétendant que la hausse des cours du brut est liée à des tensions politiques régionales et que cette hausse est passagère. Une chose semble certaine pourtant : guerre ou pas guerre pour le contrôle de la production du pétrole en Iran ou ailleurs, nous sommes définitivement sortis de l'ère du pétrole à bas prix, et cette tendance ne peut aller qu'en s'aggravant.



jeudi 25 octobre 2007

Une croissance exponentielle infinie dans un système fini ?

Je me suis amusé à faire une feuille de calcul toute simple dans un tableur : je pars d'une valeur initiale (100 ou 1000), et sur chaque ligne je rajoute 2% de la valeur précédente. Le fichier Open-Office correspondant est disponible ici.

Je réitère l'opération quelques centaines de fois, et j'obtiens les courbes suivantes :








C'est une évidence, mais ça ne fait pas de mal de le voir sur une courbe : un taux de croissance, même faible (2%), entraîne une croissance exponentielle.
C'est une croissance infinie : peu importe la valeur initiale, au bout d'un temps suffisant, on peut dépasser n'importe quelle valeur choisie arbitrairement.





Ce n'est pas lié à un facteur d'échelle particulier : si on zoom sur la partie de la courbe rouge qui semble plate (entre 0 et 200), on obtient :



(cliquer sur l'image pour agrandir)







A tous nos amis journalistes, économistes et politiques, qui guettent fébrilement les signes du retour de la sainte croissance, comme jadis les paysans attendaient impatiemment la pluie ; un beau jour il faudra quand même poser la question : la croissance, jusqu'où ?


Quand Nicolas Sarkozy déclare "la croissance, j'irai la chercher" (voir article), j'ai bien envie de lui répondre : cherche bien partout, et surtout quand tu l'auras trouvée, restes-y !! :)


Et pour conclure, terminons par une citation de l'économiste Kenneth Ewart Boulding :

Toute personne croyant qu'une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste.




lundi 15 octobre 2007

Iran : des bruits de bottes, et un triste goût de déjà vu


L'Iran est le 4ème producteur de pétrole du monde (2ème exportateur de l'OPEP). Il est également la 2ème réserve de pétrole brut du monde, avec 133 milliards de barils.
En terme de gaz naturel, les iraniens ne sont pas mal lotis non plus, puisqu'ils ont la deuxième plus grande réserve au monde, derrière la Russie. (source : wikipedia)


Voilà. J'ai dit l'essentiel. Je pourrais presque m'arrêter là. Mais on va continuer encore un peu.




Comme l'a dit Brzezinski (voir billet précédent), la politique américaine a ("involontairement" ?) eu pour effet d'attribuer à Ahmadinejad un degré d'influence que sa position ne justifie pas.






Depuis plusieurs mois (depuis grossomodo 2 ans en fait), on a en effet pu remarquer une escalade des menaces contre l'Iran, qui sont autant de violations patentes de la Charte des Nations Unies, comme le rappelle Noam Chomsky :






Une escalade des menaces qui s'est également accompagnée d'une campagne de désinformation particulièrement "dégueulasse" (pour reprendre un terme à la mode en ce moment).


Comme disait mon prof de droit citant Beaumarchais :

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose


Calomnies, intox, et fausses vérités. Je n'en citerai que deux :
  • L'obligation en Iran de porter des signes religieux discriminatoires pour les non-musulmans : "les juifs devront coudre un emblème jaune sur leurs vêtements, les chrétiens un rouge et les zoroastriens un bleu". (Voir article)
  • Le très fameux : "Israël doit être rayé de la carte". (Voir article)




Aujourd'hui la situation semble extrêmement tendue.
Comme l'indique un article publié sur Radio-Canada qui reprend les infos du Canard enchaîné, la menace de guerre semble se faire de plus en plus précise. Le raid militaire israélien contre la Syrie du 6 septembre dernier pourrait être une répétition générale de l'offensive qui se prépare contre l'Iran.



Pourtant l'Iran s'est mis en conformité avec l'AEIA, et les autorités iraniennes ne semblent pas montrer l'attitude belliqueuse que les néo-conservateurs voudraient bien leur prêter. L'Iran a également fait visiter ses installations nucléaires aux pays non-alignés.


Rappelons également l'interview d'Ahmadinejad par CBS (par l'intermédiaire de Scott Pelley) le 20 septembre dernier, dans laquelle il rappelle que son pays n'a aucune velléïté de guerre :






Pour en revenir à l'essentiel (et donc au pétrole), rappelons également les propos d'Alan Greenspan (Président de la Banque Centrale des Etats-Unis d'août 1987 à janvier 2006), qui reconnaît que la dernière guerre d'Irak était avant tout liée au pétrole (voir article). C'est également ce que laisse entendre Henry Kissinger à propos de la potentielle future guerre d'Iran (voir article) :

An Iran that practices subversion and seeks regional hegemony -- which appears to be the current trend -- must be faced with lines it will not be permitted to cross. The industrial nations cannot accept radical forces dominating a region on which their economies depend, and the acquisition of nuclear weapons by Iran is incompatible with international security.



Voilà qui fait écho à ce que le même Henry Kissinger avait déjà déclaré auparavant :

Oil is much too important a commodity to be left in the hands of the Arabs.






Les points de comparaison avec la situation fin-2002/début-2003 (qui a précédé l'invasion de l'Irak) sont nombreux. Je vois toutefois deux différences majeures.


La première, c'est qu'une partie de l'opinion américaine n'est plus dupe, et n'est pas prête à se laisser rouler dans la farine une nouvelle fois de la même manière qu'il y a 5 ans.
Voir par exemple l'intervention du Sénateur Byrd.
Le déclenchement d'une nouvelle guerre contre l'Iran pourrait également donner un coup de boost aux mouvements citoyens aux Etats-Unis qui réclament le lancement d'une procédure de destitution à l'encontre du tandem Bush/Cheney.


Mais la deuxième différence majeure, qui nous concerne plus directement, c'est l'élection de Nicolas Sarkozy en France, et sa politique extérieure de ralliement inconditionnel aux néoconservateurs américains (voir billet précédent).
Dans cet article on prend cher, et malheureusement c'est mérité.

Aujourd'hui on est loin, très loin... on est à des années lumières du discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité de l'ONU le 14 février 2003.

Aujourd'hui, c'est Nicolas Sarkozy qui joue le rôle du petit nerveux de service avec son "je ne transigerai pas" (voir article), tandis que Vladimir Poutine adopte le ton mesuré qui était celui de la France il y a 5 ans (voir article).

Comment est-on tombé si bas ?





Edit (Décembre 2007)

Voir cet article sur le rapport des agences de renseignements :

Nous estimons qu’à l’automne 2003 Téhéran a arrêté son programme militaire nucléaire.



dimanche 14 octobre 2007

Nicolas Sarkozy et la politique étrangère de la "rupture"



Affirmée le 27 août, devant la conférence des ambassadeurs de France, la nouvelle ligne en matière de politique étrangère a de quoi atterrer



Extrait d'un article d'Ignacio Ramonet : edito du Monde Diplomatique n°643, Octobre 2007.


Affirmée le 27 août, devant la conférence des ambassadeurs de France, la nouvelle ligne en matière de politique étrangère a de quoi atterrer. En ce qui concerne le Proche et le Moyen-Orient, elle constitue une révolution copernicienne par rapport à la position internationale de Paris, telle que l’avait fixée le général de Gaulle, dès 1958, lors de la fondation de la Vè République.

Confirmant son alignement sur le président George W. Bush et sur les thèses les plus dures des néoconservateurs, M. Sarkozy reprend à son compte l’idée que le « premier défi, sans doute l’un des plus importants » auquel doit faire face la France est « une confrontation entre l’islam et l’Occident ». Indépendamment de l’absurdité qu’il y a à poser le problème en ces termes, pas un mot sur les torts de Washington ou sur l’effet de pourrissement provoqué par le non règlement du conflit israélo-palestinien.

Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a pour sa part pu déclarer que la guerre contre Téhéran était une option envisageable. C’est pour s’y préparer que le ministre de la Défense Hervé Morin a laissé entendre que la France pourrait reprendre toute sa place au sein de la structure militaire intégrée de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).




mardi 9 octobre 2007

Guy Millière : Le futur selon George W. Bush (2005) - Apologie du néo-conservatisme



Il y a quelques mois, entre les deux tours de l'élection présidentielle, j'ai publié un article sur AgoraVox.
Dans cet article, je cite un extrait du livre Le futur selon George W. Bush (2005) de Guy Millière, un écrivain français favorable aux néo-conservateurs).


Je m'auto-cite (cette fois-ci c'est sûr, j'ai atteint le comble du narcissisme) :

Mais c’est bien en terme de politique internationale que sa contribution pourrait être la plus désastreuse. C’est sans doute Guy Millière, un écrivain français favorable aux néoconservateurs américains qui nous éclaire le mieux sur les enjeux cachés de cette élection, dans son ouvrage : Le futur selon George W. Bush

Je cite :

"Les Européens devront comprendre ce qui est très précisément en jeu dans la révolution néoconservatrice américaine, d’une manière ou d’une autre, ou ils disparaîtront, et l’Europe avec eux. La disparition de l’Europe pourra être brutale ou douce, rapide ou lente. Elle pourra être une avancée progressive vers la vieillesse et la décrépitude qu’annoncent les courbes démographique actuelles, une progression vers l’islamisation qui ne sera islamisation modérée que si, et seulement si, la doctrine Bush concernant l’islam est couronnée de succès."

"Le néoconservatisme pourrait-il s’implanter en Europe et, ainsi, sauver l’Europe ?"

"Les Européens ne seront sauvés, s’ils doivent l’être, que par un sursaut immense", m’a dit David Horowitz à Malibu."


Le néoconservatisme. La guerre "préventive". "L’inévitable conflit des civilisations". La légalisation de la torture. Une idéologie qui doit s’implanter en Europe, faute de quoi nous ne serons pas "sauvés". Une idéologie sans laquelle nous "disparaîtrons", d’une manière ou d’une autre.

La France, qui est un grand pays, pourrait bien jouer un rôle majeur dans ce processus de transformation. Au-delà des politicailleries franco-françaises, voilà précisément ce qui constitue l’un des enjeux majeurs de cette élection





Aujourd'hui je vous propose d'aller un peu plus loin, en regardant ce livre de plus près.




La guerre qui nous a été déclarée


Aujourd'hui, la doctrine Bush est plus caricaturée, plus honnie encore que la doctrine Reagan. Cela parce que Bush, disciple de Reagan, ose lui aussi nommer l'ennemi, parce que Bush, disciple de Reagan, discerne que le totalitarisme, comme le mal, n'a pas disparu et continue à hanter la planète. Sous une forme plus dangereuse sans doute qu'au temps de l'Union Soviétique.

[...]

Mais ne jamais perdre de vue que la guerre qui nous a été déclarée est une guerre contre nos valeurs et ce qu'elles offrent au monde.

"La guerre qui nous a été déclarée". Bien évidemment, il se réfère au 11 septembre.




L'ennemi de l'intérieur

A plusieurs reprises, il insiste sur la notion d' "ennemi de l'intérieur"

"Les gens issus de la contre-culture aiment celui qui veut les tuer non parce qu'ils espèrent sa clémence, mais parce qu'ils se détestent eux-mêmes en tant qu'Américains. Le pire ennemi est l'ennemi de l'intérieur. Il faut lutter contre lui aussi, et il ne faut pas oublier le front intérieur" dit David Horowitz.

[...]

Il faudra comprendre aussi que les ennemis de la mondialisation accélérée en cours ne sont pas seulement dans les pays déconnectés mais aussi dans les pays les plus impliqués dans la mondialisation. L'altermondialisme est un compagnon de combat de la déconnection, et de tout ce que la déconnection charrie, de fait, en terme de terrorisme et de totalitarisme.


Altermondialisme, terrorisme et totalitarisme : même combat.

Car les ennemis sont partout. Comme le disait George W. Bush : "you are either with us, or you're with the terrorists".

De là à dire qu'il faut appliquer aux "ennemis de l'intérieur" le même traitement de choc que celui qu'on réserve aux "terroristes", il n'y a qu'un pas. Un pas d'autant plus facile à franchir qu'on cherche à insinuer et à entretenir la confusion entre les deux.




Business is Business : c'est bon pour le marché

Dès la chute de Kaboul, nombre d'hommes se sont fait raser la barbe puisqu'il n'était plus obligatoire de la porter. Nombre de femmes ont enlevé la burqa, puisqu'elle non plus n'était plus obligatoire (...) Des hommes par milliers portent toujours la barbe, des femmes par milliers portent toujours la burqa, il y a toujours des mariages forcés et des crimes d'honneur, mais des élections ont eu lieu où les femmes ont voté avec le même droit que les hommes. Dans les campagnes, on cultive à nouveau le pavot, diront ceux qui entendent trouver quelque chose à redire : la culture du pavot est effectivement tres lucrative, et les agriculteurs afghans répondent aux incitations économiques issues du marché. Une révolution est néanmoins en marche en Afghanistan...


C'est sans équivoque : peu importe que l'Afghanistan soit redevenu le premier producteur d'héroïne (avec 92% de la production mondiale d'opium) depuis la chute des fanatiques de la charia. Ces derniers sont désormais remplacés par les fanatiques du marché, pour qui le commerce de la drogue ne constitue pas un problème, puisqu'il est très rentable.
Et par ailleurs, qui est suffisamment naïf pour croire que les centaines de milliards de $ annuels qui proviennent du blanchiment de l'argent de la drogue profitent principalement à des abrutis de chefaillons de guerre qui sillonnent les montagnes afghanes dans leurs cortèges de 4x4 blancs flambants neufs ?



Et l'Europe dans tout ça ?

A plusieurs reprises, il ressort le couplet affligeant sur "la vieille Europe". Ce n'était pas du tout un dérapage de Donald Rumsfeld à l'époque : "la vieille Europe", c'est une composante récurrente de la vision néo-conservatrice du monde. Dans cette partie du bouquin, l'Allemagne et la France sont stigmatisées parce qu'elles ne font pas preuve d'unité dans le front commun qui doit se défendre contre l'agresseur-terroriste-qui-veut-tous-nous-tuer-parce-qu'il-déteste-notre-liberté.


L'ONU ne sert à rien.

[...]

Les Européens devront comprendre ce qui est très précisement en jeu dans la révolution néo-conservatrice américaine, d'une manière ou d'une autre, ou ils disparaîtront, et l'Europe avec eux. La disparition de l'Europe pourra être brutale ou douce, rapide ou lente. Elle pourra être une avancée progressive vers la vieillesse et la décrépitude qu'annoncent les courbes démographique actuelles, une progression vers l'islamisation qui ne sera islamisation modérée que si, et seulement si la doctrine Bush concernant l'islam est couronnée de succès.

[...]

Le néo-conservatisme pourrait-il s'implanter en Europe et, ainsi, sauver l'Europe ?
[...]

"Les Européens ne seront sauvés, s'ils doivent l'être, que par un sursaut immense", m'a dit David Horowitz à Malibu.



Ah, nous voila rassurés. D'une manière ou d'une autre, le néo-conservatisme va s'implanter en Europe, pour nous sauver de la décrépitude et de la gangrène de l'islamisation.

Comment un pays soit-disant aussi hostile à Bush et à sa clique d'escrocs a-t-il pu porter au pouvoir un missionnaire du néo-conservatisme tel que Nicolas Sarkozy, sans même s'en rendre compte ?
Il faut vraiment sous-estimer l'influence de la France en Europe et dans le Monde pour ne pas se rendre compte qu'elle occupe une place de choix en terme de potentiel de "néo-conserva-tisation" de l'Europe. Et il faut vraiment manquer de recul pour ne pas se rendre compte qu'en élisant Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, c'est exactement dans cette direction là que nous nous sommes engagés.



Le retournement des valeurs

Mais l'aspect le plus frappant de ce livre, c'est sans doute l'imposture intellectuelle qu'il adopte d'un bout à l'autre du bouquin. Les néo-conservateurs sont selon lui "les vrais américains", qui défendent "les vraies valeurs américaines". Il parle de "liberté" et délivre un discours qui se réclame des "pères fondateurs de la Nation Américaine".


Evidemment il passe sous silence l'une des citations les plus importantes de Benjamin Franklin, l'un des pères fondateurs des Etats-Unis, qui disait :

Ceux qui sont prêts à sacrifier un peu de liberté en échange d'un peu de sécurité ne méritent ni l'une ni l'autre, et finiront par perdre les deux.



Il passe sous silence le fait que la politique intérieure de Bush, à travers un ensemble de lois fascistes (Patriot Act, Anti-Terrorism Bill, Military Commission Act, etc...), a été de systématiquement détruire et vider de son contenu la Constitution Américaine, qu'il avait prêté serment de défendre lors de son investiture.



Retour au bouquin, page 142 :

La souveraineté de la liberté ou la mort, notais-je plus haut. Et plutôt la mort que la perte de la liberté. La Civilisation ou la mort. Dans les semaines qui ont suivi le 11 septembre 2001, et alors que les drapeaux américains étaient partout, aux fenêtres et sur les voitures, sur les vêtements et dans les coeurs, les bobos se sont émus que leurs enfants parfois aient voulu eux-même arborer le drapeau.


"Le 11 septembre 2001" encore et toujours. La clef de voûte, la pierre d'angle sur laquelle repose toute la justification de la doctrine néo-conservatrice. Je vous ai déjà pas mal bassinés avec ces histoires de 11 septembre. Et j'y reviendrai, pour votre plus grand plaisir.

Dans le bouquin il qualifie de "bobos" les Américains qui se sont interrogés sur le bien fondé de la vague d'orgie patriotique qui a déferlé sur les Etats-Unis après le 11 septembre.




Tiens d'ailleurs en passant, rien à voir avec ce bouquin, mais le coup du drapeau me rappelle une interview de Scott Ritters :

Waving a flag on the street corner does not make you patriotic or support the troops. I could train a monkey to do that job. You’re only a patriot if you’ve read the Constitution, and you live the Constitution, and I would say that Cindy Sheehan and those who support her, and those who speak out against this war are far more patriotic than any gold star mother or anybody else who stands on the street corner and encourages a war that’s based on a lie and can only result in the death and dismemberment of more American troops.




Retour au bouquin de Millière, page 147 :

Nous ne sommes rien, strictement rien, si nous oublions les textes fondateurs, si nous oublions les pionniers.


Un tel retournement des valeurs, une telle imposture, c'est à la limite de l'injure.



Un peu plus loin, page 186, il donne un avis éclairant sur la fonction des think-tanks :

Des centres de recherche, les think-tanks, viennent contrebalancer le gauchisme politiquement correct des universités bobos. Ils produisent des recherches, des livres, des essais argumentés et novateurs là où leurs adversaires se contentent de ressasser les mêmes idées faibles ou inexistantes en tant qu'idées.





lundi 8 octobre 2007

Qu'est ce qui fait que les choses changent ?

Avant-dernier extrait de Manufacturing Consent (hé oui, déjà).

Dans cet extrait, Chomsky aborde deux points intéressants : l'implication citoyenne et la question des médias alternatifs.



Comme l'a dit Georges Bernanos :

On n'attend pas l'avenir comme on attend un train. On le fait.







Chomsky souligne un point intéressant : en général, on insiste sur le rôle qu'ont joué les leaders, les héros.
Mais ce qui rend possible les changements et les progrès, c'est avant tout la mobilisation populaire. Les choses bougent dans le bon sens parce que suffisamment de gens décident de se mobiliser. En s'engageant dans des mouvements politiques, dans des associations ou dans diverses organisations.

Le pire, je crois, serait de tomber dans une sorte de pseudo j'm'en foutisme désabusé ("boah, ça ne sert à rien, plus rien ne m'étonne, moi je suis revenu de tout"). Ou encore se cacher derrière un espèce de cynisme de façade.

Au contraire, je pense qu'il faut se forcer à essayer de comprendre, et rester attentif. Essayer d'encourager et de développer les initiatives positives (à chacun de nous de déterminer ce qu'il estime être "une initiative positive" en fonction de ses propres critères).



La deuxième partie de cet extrait porte sur les médias alternatifs, qui sont abordés très brièvement.
La question des médias me semble essentielle. Notre capacité d'analyse dépend très largement de notre capacité à avoir une vision la plus objective possible. Le rôle des médias est déterminant.

Comme le dit Serge Dassault (Le Figaro) de manière tout à fait claire, un journal a pour fonction de servir les intérêts de celui qui le possède (source : Acrimed ou Le Monde Diplomatique) :

(Mon groupe doit) "posséder un journal ou un hebdomadaire pour y exprimer son opinion" et "peut-être aussi répondre à quelques journalistes qui ont écrit de façon pas très agréable"



Les médias alternatifs, collaboratifs et gratuits sont des compléments d'information précieux. Ce sont des initiatives intéressantes, qu'il faut encourager, soutenir, et financer (You love it, you buy it. Surtout si c'est gratuit).


jeudi 4 octobre 2007

Zbigniew Brzezinski : sur la possibilité de nouveaux attentats à imputer à l'Iran

Zbigniew Brzezinski est une pointure. Un CV impressionnant.


1960 : Conseiller de Campagne de J. F. Kennedy
1966-68 : Membre du Conseil de Planification Politique du Ministère des Affaires Etrangères du Président Lyndon Johnson.
1968 : Président du Groupe de Travail sur la Politique Etrangère de Hubert Humphrey (Vice-Président sous Lyndon Johnson, et candidat du Parti Démocrate aux élections présidentielles de 1968)
1973 : Co-Fondateur (avec David Rockefeller) de la Commission Trilatérale
1973-76 : Président de la Commission Trilatérale
1977-81 : Conseiller à la Sécurité Nationale sous la Présidence de Jimmy Carter. C'est durant cette période, à partir du 03 juillet 1979, que l'administration Américaine commencera à armer les "Mujahadeen" Afghans (des groupes islamistes armés) opposés au pouvoir de Kaboul pro-Soviétique. Les Russes réagissent 6 mois plus tard en envahissant l'Afghanistan le 24 Décembre 1979, et tombent dans le piège de ce qui sera leur "Vietnam" (Source : Brzezinski lui-même).
1985 : Membre de la Commission Présidentielle sur les Armes Chimiques du Président R. Reagan
1987-88 : Membre du Conseil de la Sécurité Nationale (National Security Council), et de la Commission de Stratégie à Long Terme du Ministère de la Défense
1987-89 : Membre du Conseil sur les Renseignement Extérieurs (Foreign Intelligence Advisory Board)
1988 : Co-Président du Groupe de Travail chargé du Conseil à la Sécurité Nationale (National Security Advisory Task Force) du Président H. W. Bush.

Il est actuellement Professeur de Politique Extérieure à l'Ecole d'Etudes Internationales Avancées de l'Université John Hopkins à Washington.

Il a également écrit de nombreux ouvrages, dont The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives. Un livre très instructif, qui mériterait de s'appeler La Géopolitique pour les Nuls (voir la collection "pour les Nuls"). Brzezinski y dévoile sa vision impérialiste clairement assumée. Je reviendrai sur ce livre dans un prochain billet.


Zbigniew Brzezinski est très critique vis à vis de la politique menée par l'administration W. Bush, car pour lui la suprématie de la super-puissance américaine ne pourra pas se maintenir si les Etats-Unis sont isolés sur la scène internationale. Ce point de vue est développé plus en détails dans The Grand Chessboard (1997) et dans The Choice: Global Domination or Global Leadership (2004).



Ce qui m'intéresse ici, c'est l'intervention de Zbigniew Brzezinski devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, le 1er Février 2007.

Entre-temps, Nicolas Sarkozy a été élu. Suite au coup de chaud (prévisible) de Sarkozy et de Kouchner à propos de l'Iran, cette vidéo est ressortie des tiroirs et a pas mal tourné ces dernières semaines.









Comme le précise un article du Réseau Voltaire, aucun grand média n'a jugé utile de rapporter les propos de Brzezinski, à l'exception du Financial Times et du Washington Note (voir l'article).


Extrait :

If the United States continues to be bogged down in a protracted bloody involvement in Iraq, the final destination on this downhill track is likely to be a head-on conflict with Iran and with much of the world of Islam at large. A plausible scenario for a military collision with Iran involves Iraqi failure to meet the benchmarks; followed by accusations of Iranian responsibility for the failure; then by some provocation in Iraq or a terrorist act in the U.S. blamed on Iran; culminating in a "defensive" U.S. military action against Iran that plunges a lonely America into a spreading and deepening quagmire eventually ranging across Iraq, Iran, Afghanistan, and Pakistan.


Zbigniew Brzezinski mentionne explicitement la possibilité que l'Iran soit rendu responsable du "fiasco" irakien. Il évoque même la possibilité d'un attentat terroriste sur le territoire américain, dont on ferait porter le chapeau à l'Iran, en vue de justifier une action militaire "défensive" contre ce pays.